Rennes (35000)

Informations Pratiques

Galerie Art & Essai

Exposition

23.11.17 → 19.01.18
Project room : Ivan Liovik Ebel, De temps en temps

Ivan Liovik Ebel, Loop, 2014. Huile sur toile. 38 x 30 cm (diptyque). © Ivan Liovik Ebel

Ivan Liovik Ebel, Loop, 2014. Huile sur toile. 38 x 30 cm (diptyque). © Ivan Liovik Ebel

Au sein de la project room de la Galerie Art & Essai, Ivan Liovik Ebel conçoit une double exposition personnelle qui interroge, entre différence et répétition, nos perceptions. L’artiste poursuit ici ses recherches picturales et sculpturales au regard de leur reproductibilité technique. Avec « De temps en temps », les espaces et les temporalités se dédoublent ou se redoublent presque à l’identique : le réel et son double…

 

John Cornu : Ton travail implique souvent l’idée de répétition, de reconstruction au point de démultiplier le réel et de créer une sorte de jeu fictionnel au sein d’une réalité bien physique. Peux-tu nous dire quelques mots à ce sujet ?

 

Ivan Liovik Ebel : La répétition d’une image ou d’une situation, en produisant deux espaces identiques et parallèles, parasite la perception en provoquant, dans l’expérience du spectateur, une sorte d’anachronisme. En même temps elle nécessite souvent de tenter de reproduire un geste, et donc un instant. Cette tension m’intéresse, car elle met en jeu la relation complexe espace/temps, et permet d’interroger cet espace particulier qu’est le présent, qui dans sa fuite nous retient captifs.

 

J’ai la sensation qu’il existe un peu deux formats dans ton travail : celui de l’exposition et celui de chaque pièce. Comment penses-tu le « seuil d’intégrité » de ces deux formats ?

 

Mon travail est d’abord un travail d’atelier, dans le sens où je produis la plupart du temps des pièces en-dehors de tout contexte d’exposition, sans penser nécessairement à leur présentation. En revanche, j’aime envisager l’exposition comme un médium en soi, un support sur lequel les œuvres se déploient. Cela implique une part de travail in situ et peut, parfois, donner à mes pièces une dimension installative. Quant à la question de l’intégrité, je suis prêt à assumer une certaine ambiguïté dans l’imbrication des œuvres et de leur installation, si cette dernière fait sens tout en permettant de révéler les œuvres pour elles-mêmes.

 

Lorsque tu entreprends un projet s’agit-il pour toi de vérifier matériellement une idée antérieure ou de te laisser porter par les aléas de l’expérimentation ? Les deux peut-être ?

 

Probablement un peu des deux. Si la plupart de mes projets découlent de façon plus ou moins directe de réflexions théoriques – bien qu’il ne s’agisse pour autant pas de vérifier une idée à la manière d’un scientifique – ; bon nombre de pièces sont également nées du hasard de l’expérimentation dans l’atelier.

 

Comment réfléchis-tu le travail des autres artistes et notamment ceux qui recoupent certaines de tes interrogations ? Je pense par exemple au travail de Jonathan Monk et à sa double exposition « Time Between Spaces » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et au Palais de Tokyo en 2008 ; ou à certaines propositions de Michel François. On pourrait citer encore Guiseppe Penone et ses Essere Fiume [Être fleuve]. Peux-tu nous décrire plus largement ton cadre référentiel et la manière dont tu le penses ? 

 

Je n’aurais pas spontanément évoqué ces exemples comme faisant explicitement partie de mon cadre référentiel, encore que les contours de celui-ci soient assez perméables. Il est clair que mon travail est traversé par de multiples influences et références plus ou moins exprimées, plus ou moins conscientes, et je vois bien le type de parenté que l’on peut établir entre ces œuvres et mes recherches. Mais si je devais signaler une référence par rapport au projet que je présente à Rennes, en dehors des quelques citations explicites que l’on peut y rencontrer, je pourrais mentionner le très beau projet de Gregor Schneider intitulé Die Familie Schneider, présenté à Londres en 2004 ainsi que La reprise de Kierkegaard que j’ai lu il y a plusieurs années et qui n’a jamais cessé de m’interroger depuis.

 

En effet l’approche de Gregor Schneider peut raisonner avec tes préoccupations, et nous aurions pu aussi évoquer le travail de Bernard Piffaretti, mais ma question focalise plus sur l’attitude de l’artiste au regard de ses contemporains. Nous sommes issus d’un contexte culturel relativement proche et cela peut entrainer des raisonnements ou des attitudes types. Reste à savoir si dans ton processus créatif tu cherches une sorte de filiation, ou au contraire une volonté de singularité ?

 

Je n’ai jamais réellement senti le besoin de me situer dans un rapport particulier de filiation. Au contraire, il m’est souvent apparu nécessaire de brouiller légèrement les pistes, afin d’échapper peut-être à une catégorisation trop rapide. Ce qui ne signifie pas non plus que je cherche à tout prix à me singulariser.

 

Quel est par ailleurs ton ressenti vis-à-vis des curateurs avec lesquels tu as travaillé ? Comment envisages-tu le rôle de ces derniers et jusqu’où les laisses-tu intervenir dans les choix d’œuvres et de mise en espace ?

 

J’ai vécu des expériences positives, et extrêmement variées. Certains curateurs se sont contentés de m’inviter et de me remettre les clés de l’espace, ce qui témoigne de leur grande confiance ; et d’autres se sont impliqués totalement dans mes projets. Je pense notamment à Eric Emery, curateur de l’espace zqm à Berlin. Eric m’a accompagné, du début jusqu’à la fin, dans la réalisation de ma pièce X’ = X + A ; Y’  = Y + B, instaurant entre nous une vraie dynamique de travail d’équipe. Il me faisait part de ses doutes et de ses idées, et c’était très agréable. Cela impliquait une grande confiance et une certaine connivence. Mes relations avec les curateurs prennent des formes à chaque fois différentes. Cela varie selon l’attitude de chacun et la nature du projet, mais je crois être assez ouvert sur ce plan.

 

L’école Suisse est assez représentative de la mouvance Néo-Géo. Il se trouve que la géométrie est omniprésente dans ton travail. S’agit-il d’un héritage de ta formation ? Considères-tu que la Suisse est un contexte d’expérimentation particulier, et si oui sur quels critères ?

 

C’est une bonne question, bien qu’il me soit difficile d’y répondre. J’ai été formé dès mes seize ans à l’art et à la communication visuelle, lorsque j’ai commencé mon apprentissage à l’Ecole d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds. Cette école a une forte tradition : le dessin géométrique, l’étude des volumes, ainsi que l’étude de la couleur selon les théories de Johannes Itten, y occupent une place importante, du moins était-ce le cas à l’époque. Naturellement cela a laissé des traces, je ne cherche pas à les effacer, mais je ne revendique pas non plus absolument cet héritage. Par la suite, j’ai étudié à Berne, et l’école est quant à elle traversée par d’autres courants et influences. Aujourd’hui, je vis à Berlin, et ce depuis plusieurs années, et mon travail a pas mal évolué, si bien que je ne saurais me définir comme étant issu d’un contexte particulier.

 

Il me semble que ton projet pour la project room de la Galerie Art & Essai s’inscrit dans le prolongement de l’exposition « Every Now and Then » réalisée chez Gilla Lörcher, ta Galerie Berlinoise, l’année passée. Comment projettes-tu ta production aux regards des impératifs symboliques et économiques d’une galerie ?

 

Oui, pour Rennes, l’idée était de repartir du projet présenté l’année dernière chez Gilla Lörcher, et de réaliser une nouvelle interprétation de ce dernier, en fonction de l’espace de la projet room, et en tenant compte des contraintes et du potentiel du lieu. En d’autres termes, j’ai opéré une traduction. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai conservé le même titre, et que ce dernier a simplement été traduit en français. Pour répondre à ta question par ailleurs, j’ai la chance de travailler avec une galerie qui me laisse une grande liberté, notamment celle de proposer des projets qui n’ont pas d’implication commerciale directe. C’était par exemple le cas lorsque j’y ai présenté ma performance Im Nebel qui consiste en une lecture dans le brouillard. Jusqu’à présent, je n’ai pas été tellement confronté à des impératifs de production liés à des logiques économiques. J’essaie d’ailleurs, dans la mesure du possible, de rester libre par rapport à de tels impératifs, tout en sachant que ma production d’atelier, mes peintures, mes sculptures ou encore mes tissus imprimés, restent des objets tout à fait commercialisables et commercialisés.

 

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Né en 1983 à Neuchâtel (Suisse), Ivan Liovik Ebel vit et travaille à Berlin.

 

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

  • www.ivanebel.net
  • Vernissage le 23.11.17 à 18h