Exposition
Pour la première exposition de sa saison Fendre les Flots, La Criée présente du 25 septembre au 22 novembre 2015 They Watched Us For a Very Long Time (Ils nous regardent depuis très longtemps) de Runo Lagomarsino, qui réunit un ensemble d’œuvres de cet artiste suédois vivant au Brésil, fils d’émigrés argentins d’origines italiennes et espagnoles.
Ces multiples traversées atlantiques, à la fois racines familiales et parcours personnel, sont souvent induites dans sa pratique. Par le biais de sculptures, d’installations ou encore de documents vidéo retraçant ses actions désuètes et ironiques, frisant parfois la subversion, il cherche à mettre en perspective la permanence de l’héritage colonial dans notre monde globalisé; ses répercussions sur les différentes structures politiques, culturelles ou sociétales, notamment par le prisme de l’Histoire latino-américaine.
En jouant du décentrement du regard, du changement de point du vue, Runo Lagomarsino interroge nos positions et identités : qui est le “nous”, qui sont “les autres”.
Le titre de l’exposition est emprunté à la pièce éponyme They Watched Us For a Very Long Time (2014) présentée à La Criée : une soixantaine de plaques en métal subtilisées au système d’éclairage du musée archéologique Pergame de Berlin. À l’image de bien d’autres musées européens, les collections du Pergame ont été constituées au cours des siècles derniers sous l’égide des Lumières et par l’appropriation coloniale d’artefacts anciens, devenant au cours du temps patrimoines culturels nationaux, symboles des identités européennes.
Les éléments d’éclairage présentés ici sont soumis à un renversement de contexte et de fonction : auparavant mettant en lumière et ils sont maintenant eux-mêmes exposés, brûlés par la lumière électrique qu’ils diffusaient. Par cette double action de subtilisation et d’inversion, Runo Lagomarsino nous pousse à envisager ces lieux différemment : et si ces musées ne mettaient pas en lumière les autres cultures mais étaient des outils de compréhension du pouvoir, du colonialisme et de la façon dont les histoires sont construites? Des “miroirs amnésiques de l’Europe*” comme le dit l’artiste qui ajoute “le passé colonial n’est pas passé; il fait partie de notre vie contemporaine**”.
Souvent, les éléments qui constituent les œuvres de Lagomarsino voyagent, deviennent témoins et matérialité de parcours, métaphores de migrations, d’exils ou de faits historiques. C’est le cas par exemple dans la vidéo More Delicate Than the Historian’s are the Map Makers Color (2012-2013) où l’on voit l’artiste et son père jetant des œufs ramenés illégalement d’Argentine sur une gigantesque statue de Christophe Colomb à Séville. Ou encore dans la récente vidéo Como si fuera piedra la arena (2015), où Lagomarsino déverse discrètement du sable provenant des rives méditerranéennes aux pieds de statues grecques à la Glyptotec de Copenhague.
Dans l’ensemble des pièces présentées à La Criée, Runo Lagomarsino cherche à révéler des fractures historiques et spatio-temporelles d’où raconter d’autres histoires, plus particulièrement d’où lire le passé et envisager le futur depuis d’autres angles. Il convoque les fantômes du passé historique, les faits proscris ou oubliés, avec une poésie empreinte d’activisme et faisant du voyage un espace politique. Il amène ainsi le spectateur à considérer sa propre vision et ses positions, ses points de référence, ses fondations et ses fondamentaux, face à l’Histoire mondiale globalisée.
* ” Question & Answer with Runo Lagomarsino “, in kunstforum.as, 7 avril 2014
** ibid
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES